— Alors mesdames, pour la séance de ce soir, je peux vous proposer…
D’un geste théâtral, je double-clique sur les vignettes pour dévoiler les images.
— Coup de foudre à Manhattan ou bien Crazy stupid love. À vos votes !
Mes deux amies lèvent les yeux à l’unisson.
— Oh, waouh, Maddie ! s’exclame Tina. Quel choix inédit et parfaitement audacieux.
— Oui, on se demande vraiment quel film tu as envie de voir, pouffe Laetitia à son tour en se resservant du Ti punch.
Je me laisse choir sur le tapis persan au pied de mon lit et avance mon verre pour profiter de la troisième tournée. Ou quatrième, peut-être ? J’ai perdu le compte. Un hoquet m’échappe.
— Mais non, protesté-je après avoir avalé une nouvelle gorgée. Vous avez vraiment le choix, je vous jure. Ce soir, c’est notre dernière soirée ensemble avant les vacances, alors, je ferai tout ce qu’il vous plaira.
— Hm… alors, peut-être qu’on pourrait oublier le film et mettre un peu de musique, pour changer ? glisse Tina.
Je grimace. Les soirées ciné-cocktails, c’est une tradition qu’on a instaurée le jour de nos huit ans, lorsque j’étais morte de trouille à l’idée de partir seule en colonie de vacances. Bien sûr à l’époque, les cocktails étaient sans alcool. Beaucoup de choses ont changé depuis cette période où on se tressait mutuellement les cheveux, mais ces soirées-là ont réussi à perdurer dans le temps. Malgré moi, je ressens un petit pincement au cœur à l’idée que ce rituel risque de se perdre aussi.
— Ne me dis pas que tu ne peux pas survivre un soir sans voir ton précieux Ryan Gosling à l’écran ?
Je porte la main à ma poitrine en regardant Tina d’un air outré. Elle sait que je suis susceptible quand il s’agit de mes passions – ou plutôt de mes obsessions, devrais-je dire – et elle n’hésite pas à en rajouter une couche.
— J’ai dit que ce soir, je ferai tout ce qu’il vous plaira, répété-je en lui arrachant mon ordinateur des mains. Vous ne méritez pas mon Ryan ! Je le garde pour moi toute seule.
Je leur tire la langue et nous éclatons toutes les trois de rire. Même si elles adorent me taquiner, ces filles sont mes meilleures amies et je n’échangerais notre complicité pour rien au monde. Tout en se redressant pour attacher sa longue queue de cheval blonde, Laetitia me donne un coup de coude.
— De toute façon, elle n’a plus besoin de toutes ces comédies romantiques maintenant qu’elle a monsieur Noah pour la combler ! dit-elle en me faisant un clin d’œil. Alors, ça fait quoi de sortir avec son fantasme d’adolescente ?
Je ne lui réponds pas tout de suite, sirotant mon verre. Le mélange rhum-fruit de Tina est parfaitement dosé, ça se boit comme du petit lait.
— Noah est vraiment génial. Il est gentil, doux, prévenant, et tellement beau… Bref, c’est l’homme parfait.
Tina, qui lit en moi comme dans un livre ouvert, perçoit mon hésitation.
— Mais… ?
— Mais ça ne peut pas durer les filles ! Pas pour moi. Je n’ai jamais eu de relation aussi sérieuse et je n’arrête pas de me demander à quel moment ça va mal tourner !
— Tu n’exagères pas un peu, Madeline ? Pourquoi ça tournerait mal ?
— Allô, Laeti, je te rappelle que c’est de moi dont on parle, m’exclamé-je en écarquillant les yeux. Moi, Madeline, la poissarde en amour numéro un. As-tu oublié mes antécédents ?
— Si tu parles de Zach, allons, tu ne pouvais pas imaginer qu’il était gay et qu’il se servait de toi pour que ses parents acceptent de lui payer une voiture.
— Oh, en parlant de parents, comment il s’appelait déjà celui qui te demandait de porter les vêtements de sa mère pour faire l’amour, car ça l’excitait ? questionna Tina. Daniel, ou un truc comme ça…
— Tu confonds, ça, c’était Eugène ! Daniel, c’était son béguin secret en troisième, tu te souviens ? Celui à qui elle avait fait passer un mot en classe pour lui avouer ses sentiments, mais il s’était planté… Il avait cru que ça provenait de Madeleine, et il avait fini par sortir avec elle. D’ailleurs, ils sont restés ensemble un moment, poursuit Laetitia.
— OK les filles, stop ! Je crois que vous avez bien illustré mon point, merci.
Mes copines se tournent vers moi tandis que j’enfouis mon visage dans mes mains, mortifiée. Je me serais bien passée de cet instant flashback sur ma vie sentimentale ratée. Laetitia pose un bras réconfortant autour de mes épaules tandis que Tina me tapote un bras.
— Ma chérie, Noah est raide dingue de toi, ça se voit, me dit Laetitia d’une voix douce. Il n’a jamais accepté de rester plus de quelques semaines avec ses conquêtes, mais avec toi, ça fait déjà plusieurs mois. Aie confiance en toi.
Je regarde son visage souriant pour me redonner du courage. Noah, mon crush ultime de mes années lycée. Le beau gosse populaire, mais gentil, celui qui fait chavirer tous les cœurs. Toutes les filles lui tombent dans les bras comme Winnie l’Ourson face à un pot de miel. Comment résister à son sourire et ses abdominaux dessinés au papier calque ?
Ça fait trois mois qu’on est ensemble et je n’arrive toujours pas à croire à ma chance. Lorsqu’il m’a embrassée à cette soirée étudiante organisée par le BDE, j’étais persuadée qu’il était trop saoul et que je m’étais juste retrouvée au bon endroit, au bon moment. Il faut dire que je gravitais pas mal autour de lui, à ce moment-là. Mais non. Le lendemain matin, il m’a envoyé un texto pour qu’on se revoie le soir même, et beaucoup d’autres soirs après.
— Et niveau sexe, ça se passe comment ?
— Tina !
— Bah quoi ? Noah a toujours été un Don Juan, ce n’est pas un secret. La connexion physique, c’est une partie non négligeable pour l’équilibre d’un couple, déclame Tina, toujours pragmatique.
— Le sexe ça ne fait pas tout non plus, siffle Laetitia en touchant ses lunettes.
Je jette un regard en biais à mon amie qui s’est renfrognée. À la regarder, qui pourrait se douter que cette belle blonde aux courbes voluptueuses a fait le choix de rester vierge jusqu’au mariage ? Ce ne sont pas les prétendants qui manquent, mais la vérité est que Laeti est bien plus intéressée par ses livres et ses études d’ingénieure que par les amourettes.
Ça m’arrange bien : ça va m’éviter de raconter la réalité, à savoir que je n’arrive pas toujours à suivre le rythme qu’il m’impose. Disons que Noah est très actif de ce côté-là.
— Ça se passe très bien sur ce plan aussi, mais j’ai été pas mal prise par le boulot ces derniers temps et je le serai encore plus avec cette promotion à l’hôtel. Heureusement qu’il part en vacances dans quelques jours ! Je ne sais pas comment j’aurais réussi à trouver du temps pour le voir avec tout ce que j’aurai à faire cet été.
— Tu ne lui as pas encore parlé de ta promotion ?
— Je vais lui en parler demain, on déjeune ensemble. La dernière fois qu’on était ensemble, on n’a pas eu beaucoup de temps pour discuter, avoué-je avant de me rendre compte du sous-entendu contenu dans ma phrase.
Je rougis.
— Ah, je savais que t’étais une coquine !
Pour toute réponse, je lance un coussin au visage de Tina qui se met à ricaner. La soirée se poursuit dans une joyeuse cacophonie amplifiée par les vapeurs de rhum. On chante, on danse, on rit, et c’est épuisées qu’on s’endort l’une près de l’autre sur mon lit, alors que le soleil commence doucement à se lever.
À suivre…
—
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